L'initiative chinoise Belt and Road (BRI), aussi appelée Nouvelle Route de la Soie, est l'un des projets d'infrastructures les plus ambitieux de l'histoire. Inspirée de la Route de la Soie historique, qui, sous la dynastie Han, reliait déjà la Chine à la Méditerranée et à l'Europe, la BRI a vu le jour en 2013 dans le contexte de la transformation économique de la Chine. Cette vaste stratégie de développement et d'investissement lancée par Xi Jinping visait initialement à relier l'Asie de l'Est à l'Europe par le biais de corridors commerciaux et d'infrastructures physiques. Au fil des ans, le projet s'est étendu à l'Afrique, à l'Océanie et à l'Amérique latine, renforçant l'influence économique et politique de la Chine à l'échelle mondiale. Aujourd'hui, 147 pays, représentant environ deux tiers de la population mondiale et 40 % du PIB global, ont signé des accords ou exprimé un intérêt pour rejoindre cette initiative.
L’initiative Belt and Road (BRI), l’une des plus grandes infrastructures de logistique et de transport à ce jour, a suscité de nombreux travaux en économie et en sciences politiques. Cependant, peu de recherches ont été menées sur la manière dont la BRI peut affecter la gestion de la chaîne d’approvisionnement dans son ensemble. La BRI étant un projet de construction d’infrastructures logistiques à grande échelle, il est clair qu’elle aura plusieurs implications pour les chaînes d’approvisionnement. C’est ce que nous allons étudier dans cet article.
Présentation du projet
Les projets d'infrastructure prévus dans le cadre de la BRI sont d'une envergure sans précédent. De nombreux pays situés le long de ces routes se sont engagés à soutenir ces initiatives ambitieuses, reconnaissant leur potentiel à transformer les économies locales et régionales.
La BRI repose sur cinq grandes priorités :
La coordination des politiques entre les pays participants pour aligner leurs stratégies de développement.
La connectivité des infrastructures pour moderniser les réseaux de transport, d’énergie et de communication.
La promotion du libre-échange pour renforcer les échanges transfrontaliers et éliminer les barrières commerciales.
L'intégration financière afin de faciliter les investissements et les flux de capitaux.
La connexion des peuples, visant à promouvoir les échanges culturels et humains.
Deux initiatives majeures sont étroitement liées à la Belt and Road Initiative (BRI) :
La Ceinture économique de la Route de la soie (SREB).
La Route de la soie maritime (MSR).
La "Ceinture" désigne un réseau interrégional de routes terrestres, ferroviaires, d'oléoducs, de gazoducs et de réseaux électriques reliant la Chine à l'Asie centrale, l'Europe et au-delà, via des villes clés comme Xian, Moscou, Rotterdam et Venise.
La "Route", quant à elle, vise à connecter la Chine à l’Asie du Sud, à l’Asie du Sud-Est, à l’Afrique de l’Est et à la Méditerranée grâce à un réseau stratégique de ports maritimes.
La Ceinture Économique de la Route de la Soie (SREB)
La SREB est composée de trois principaux corridors terrestres :
Le corridor nord : partant du nord-est et du nord-ouest de la Chine, traversant l'Asie centrale et la Russie, jusqu'à l'Europe et la mer Baltique.
Le corridor central : allant du nord-ouest de la Chine, à travers l'Asie centrale et occidentale, jusqu’au golfe Persique et à la mer Méditerranée.
Le corridor sud : reliant le sud-ouest de la Chine, via la péninsule indochinoise, à l'océan Indien.
Ces trois routes se subdivisent en six corridors économiques stratégiques :

Le corridor Chine-Pakistan
Le corridor reliant la Chine et le Pakistan a été décrit par Pékin comme « le plus rapide et le plus efficace » des projets de la BRI. C’est un projet majeur de la BRI, visant à renforcer les liens économiques entre la Chine et le Pakistan. Ce corridor relie le port de Gwadar, situé sur la côte pakistanaise, à la province chinoise du Xinjiang. Les infrastructures clés du CPEC comprennent des autoroutes, des lignes ferroviaires et des installations énergétiques. Le développement de la route Gwadar - Kashgar permet un accès direct aux marchés chinois pour les produits pakistanais et inversement. De plus, les projets d'infrastructures énergétiques permettent de résoudre les problèmes d'approvisionnement en électricité au Pakistan, tout en soutenant les besoins énergétiques de la Chine.
Le Nouveau pont terrestre eurasiatique (NECBEC)
Le NECBEC est une composante majeure de la BRI. Conçu pour dynamiser les échanges terrestres entre la Chine et l'Europe, ce corridor, parfois surnommé la Seconde Route Continentale Eurasiatique, propose une alternative rapide et efficace aux voies maritimes traditionnelles.
S'étendant des côtes chinoises jusqu'à l'Europe de l'Ouest, le NECBEC traverse des pays comme le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie et la Pologne, formant un axe commercial terrestre stratégique. Il repose sur la modernisation des infrastructures ferroviaires et routières, ainsi que la création de centres logistiques. Une caractéristique clé est le développement de liaisons ferroviaires transcontinentales à grande vitesse, réduisant considérablement le temps de transport des marchandises entre la Chine et l'Europe.
Des infrastructures comme le port sec de Khorgos, à la frontière entre la Chine et le Kazakhstan, facilitent le passage des marchandises entre des systèmes ferroviaires de largeurs de voie différentes. Des projets ont également été menés en Europe tels que la modernisation du port du Pirée en Grèce et la ligne ferroviaire Budapest-Belgrade en Hongrie.

Le corridor Chine - Mongolie - Russie
Il vise à améliorer la connectivité commerciale et logistique entre la Chine, la Mongolie, et la Russie.
Parmi les infrastructures clés, le chemin de fer qui relie la Mongolie à la Russie et à la Chine, facilitant le transport de ressources naturelles comme le charbon, et l'autoroute Altanbulag - Ulaanbaatar - Zamiin - Uud qui améliore la connectivité entre la Mongolie et la Chine, accélérant ainsi les échanges de marchandises.
Le corridor Chine - Péninsule indochinoise
Le développement de la BRI en Asie du Sud-Est a été au cœur des efforts déployés par la Chine pour renforcer la connectivité régionale et stimuler la coopération économique. La situation stratégique de l’Asie du Sud-Est, carrefour de voies maritimes et terrestres, en a fait un pôle central pour les projets BRI. L’initiative a conduit à des investissements importants dans les infrastructures, notamment dans les transports, l’énergie et la connectivité numérique.
Voici des exemples de projets qui ont été menés dans le cadre du développement du corridor Chine -Péninsule Indochinoise :
Chemin de fer Chine-Laos : Projet phare de la BRI, ce chemin de fer relie la province chinoise du Yunnan à la capitale laotienne, Vientiane, en traversant un terrain accidenté et en reliant plus étroitement le Laos à l’économie chinoise et, par extension, aux marchés mondiaux.
Développement portuaire au Myanmar : Le port en eau profonde de Kyaukphyu fait partie du corridor économique Chine-Myanmar, offrant à la Chine une route directe vers l’océan Indien, en contournant le détroit encombré de Malacca.
Port de Sihanoukville au Cambodge : Ce projet vise à accroître la capacité du principal port du Cambodge afin de renforcer le commerce maritime avec la Chine et d’autres régions.
Le corridor Chine - Myanmar - Bangladesh - Inde
L'un des projets les plus importants sur cet itinéraire est la construction d'oléoducs et de gazoducs à travers la Birmanie, qui offre à la Chine une autre alternative pour acheminer son pétrole par le détroit de Malacca.
Néanmoins, ce corridor est l'un des moins actifs car l'Inde et la Chine n'arrivent pas à s'entendre sur plusieurs points.
Le corridor Chine - Asie centrale - Asie occidentale
En reliant les réseaux ferroviaires de la Chine à la mer Méditerranée, ce corridor économique renforce la connectivité entre la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Turkménistan, l’Iran et la Turquie. En plus d’investir dans le rail, la Chine développe également des routes et d’autres projets d’infrastructures qui pourraient transformer les économies d’Asie centrale, qui n’entretiennent pour l’instant que des relations commerciales limitées.
La Route de la Soie Maritime (MSR)
La Route de la soie maritime se concentre sur le développement d’un réseau de ports maritimes s'étendant de l’Asie du Sud-Est à l'Afrique de l'Est, en passant par certaines parties de l’Europe. Ces investissements visent à développer des infrastructures portuaires afin de faciliter et sécuriser le flux croissant du commerce maritime, qui constitue un pilier central de l’économie chinoise. En effet, environ 90 % du commerce extérieur de la Chine, en termes de volume, et 60 % en termes de valeur, dépendent de ces échanges maritimes.
La Route de la Soie maritime s'étend depuis les ports chinois, à travers la mer de Chine méridionale, l'océan Indien, et le canal de Suez, pour atteindre des ports clés en Europe, comme ceux de Rotterdam ou du Pirée en Grèce, un des projets emblématiques de la BRI. En Asie du Sud-Est et du Sud, des pays comme l'Indonésie, le Sri Lanka et le Pakistan jouent un rôle crucial dans cette route, avec des projets comme le port de Colombo ou le port de Gwadar, en pleine expansion pour renforcer les liaisons commerciales entre la Chine, l'Asie centrale et le Moyen-Orient.
L'objectif principal de cette Route maritime est de faciliter le flux des marchandises entre la Chine et les marchés mondiaux, tout en réduisant les coûts de transport et en améliorant l'efficacité logistique.
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Les obstacles au développement de la BRI
Depuis son lancement en 2013, la Belt and Road Initiative (BRI) a connu une croissance spectaculaire. En 2015, 17 pays avaient déjà rejoint l’initiative, et en 2017, elle s'est étendue à l’Amérique latine via la Route de la soie maritime (MSR). À l'occasion du dixième anniversaire de la BRI en 2023, le gouvernement chinois a annoncé que plus de 150 pays et 30 organisations internationales avaient adopté l'initiative, avec 3 000 projets en cours, représentant un investissement total de 1 000 milliards de dollars. Toutefois, ce projet se heurte à plusieurs obstacles majeurs.
Le premier est lié à l’endettement des pays participants. Beaucoup de projets financés par des prêts chinois placent les États partenaires dans une situation économique délicate. Le cas du Sri Lanka illustre ce risque : incapable de rembourser les dettes contractées pour la construction du port de Hambantota, le pays a dû céder le contrôle de cette infrastructure à une entreprise chinoise pour 99 ans. Ce type de situation nourrit les accusations de "diplomatie de la dette".
Le second obstacle est d’ordre géopolitique. L'Inde en est un exemple central : le corridor économique sino-pakistanais reliant la Chine au port pakistanais de Gwadar traverse le Cachemire, une région disputée entre l'Inde et le Pakistan. Ce passage est perçu par New Delhi comme une atteinte à sa souveraineté territoriale, poussant l'Inde à boycotter systématiquement les sommets de la BRI.
Dans l'Union européenne, nous avons l’exemple de l’Italie, qui avait initialement rejoint l’initiative en 2019, et qui a finalement décidé de se retirer en décembre 2023, craignant que la BRI ne favorise des déséquilibres économiques et une dépendance envers Pékin.
Enfin, des défis locaux compromettent la réalisation des projets. En Indonésie, la construction de la ligne ferroviaire à grande vitesse Jakarta - Bandung, un projet emblématique, a subi de nombreux retards dus à des problèmes de financement, des litiges fonciers et des préoccupations environnementales. Des situations similaires se répètent dans d'autres pays, où les communautés locales remettent en question l’impact des projets sur leur quotidien.
En conclusion, la Belt and Road Initiative incarne la volonté de la Chine de façonner un nouvel ordre économique mondial en reliant les continents par des infrastructures modernes et des corridors stratégiques. Ce projet colossal a le potentiel de transformer les dynamiques commerciales, de renforcer les liens entre les nations et de stimuler le développement économique dans de nombreuses régions sous-équipées. Cependant, pour que la BRI réalise pleinement ses objectifs, la Chine devra répondre aux critiques sur la transparence des projets, les impacts environnementaux, les conditions de financement et la répartition équitable des bénéfices. Une approche plus inclusive et respectueuse des intérêts locaux pourrait apaiser les inquiétudes et garantir que cette initiative globale devienne un levier de croissance et de coopération plutôt qu’une source de tensions. L’avenir de la BRI repose sur un équilibre délicat entre ambition stratégique et responsabilité partagée.

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